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elle ne vienne pas ! m’écriais-je ; qu’elle n’approche pas ! Je suis capable de la tuer. »

Depuis ma dernière lettre, je n’en entendais plus parler. « Enfin, que fait-elle ? me disais-je. Elle en aime un autre ? Aimons-en donc une autre aussi. Qui aimer ? » Et, tout en cherchant, j’entendais comme une voix lointaine qui me criait : « Toi, une autre que moi ! Deux êtres qui s’aiment, qui s’embrassent, et qui ne sont pas toi et moi ! Est-ce que c’est possible ? Est-ce que tu es fou ? »

– Lâche ! me disait Desgenais, quand oublierez-vous cette femme ? Est-ce donc une si grande perte ? Le beau plaisir d’être aimé d’elle ! Prenez la première venue.

– Non, lui répondais-je ; ce n’est pas une si grande perte. N’ai-je pas fait ce que je devais ? Ne l’ai-je pas chassée d’ici ? Qu’avez-vous donc à dire ? Le reste me regarde ; les taureaux blessés dans le cirque ont la permission d’aller se coucher dans un coin avec l’épée du matador dans l’épaule, et de finir en paix. Qu’est-ce que j’irai faire, dites-moi, là ou là ? Qu’est-ce que c’est que vos premières venues ? Vous me montrerez un ciel pur, des arbres et des maisons, des hommes qui parlent, boivent, chantent, des femmes qui dansent et des chevaux qui galopent. Ce n’est pas la vie tout cela : c’est le bruit de la vie. Allez, allez ; laissez-moi le repos.

CHAPITRE V

Quand Desgenais vit que mon désespoir était sans remède, que je ne voulais écouter personne ni sortir de