danger sa maîtresse. Ses occupations et ses pensées sont comme ces soldats impassibles, rangés à la bataille sur une même ligne ; un coup de feu en emporte un, les voisins se resserrent, et il n’y paraît pas.
Je n’avais pas cette ressource ; la nature, ma mère chérie, depuis que j’étais seul, me semblait au contraire plus vaste et plus vide que jamais. Si j’avais pu oublier entièrement ma maîtresse, j’aurais été sauvé. Que de gens à qui il n’en faut pas tant pour les guérir ! Ceux-là sont incapables d’aimer une femme infidèle, et leur conduite, en pareil cas, est admirable de fermeté. Mais est-ce ainsi qu’on aime à dix-neuf ans, alors que, ne connaissant rien du monde, désirant tout, le jeune homme sent à la fois le germe de toutes les passions ? De quoi doute cet âge ? À droite, à gauche, là-bas, à l’horizon, partout quelque voix qui l’appelle. Tout est désir, tout est rêverie. Il n’y a réalité qui tienne lorsque le cœur est jeune ; il n’y a chêne si noueux et si dur dont il ne sorte une dryade ; et si on avait cent bras, on ne craindrait pas de les ouvrir dans le vide ; on n’a qu’à y serrer sa maîtresse, et le vide est rempli.
Quant à moi, je ne concevais pas qu’on fît autre chose que d’aimer ; et lorsqu’on me parlait d’une autre occupation, je ne répondais pas. Ma passion pour ma maîtresse avait été comme sauvage, et toute ma vie en ressentait je ne sais quoi de monacal et de farouche. Je n’en veux citer qu’un exemple. Elle m’avait donné son portrait en miniature dans un médaillon ; je le portais sur le cœur, chose que font bien des hommes ; mais, ayant trouvé un jour chez un marchand de curiosités une discipline de fer, au bout de laquelle était une plaque hérissée de pointes, j’avais fait attacher le médaillon sur la plaque et le portais ainsi. Ces clous,