qui veut de l’exercice, et qui oublie aussi facilement qu’elle apprend.
Mon seul trésor, après l’amour, était l’indépendance. Dès ma puberté, je lui avais voué un culte farouche, et je l’avais pour ainsi dire consacrée dans mon cœur. C’était un certain jour que mon père, pensant déjà à mon avenir, m’avait parlé de plusieurs carrières, entre lesquelles il me laissait le choix. J’étais accoudé à ma fenêtre, et je regardais un peuplier maigre et solitaire qui se balançait dans le jardin. Je réfléchissais à tous ces états divers et délibérais d’en prendre un. Je les remuai tous dans ma tête l’un après l’autre jusqu’au dernier, après quoi, ne me sentant de goût pour aucun, je laissai flotter mes pensées. Il me sembla tout à coup que je sentais la terre se mouvoir, et que la force sourde et invisible qui l’entraîne dans l’espace se rendait saisissable à mes sens ; je la voyais monter dans le ciel ; il me semblait que j’étais comme sur un navire ; le peuplier que j’avais devant les yeux me paraissait comme un mât de vaisseau ; je me levai en étendant les bras, et m’écriai : « C’est bien assez peu de chose d’être un passager d’un jour sur ce navire flottant dans l’éther ; c’est bien assez peu d’être un homme, un point noir sur ce navire ; je serai un homme, mais non une espèce d’homme particulière. »
Tel était le premier vœu qu’à l’âge de quatorze ans j’avais prononcé en face de la nature ; et depuis ce temps je n’avais rien essayé que par obéissance pour mon père, mais sans pouvoir jamais vaincre ma répugnance.
J’étais donc libre, non par paresse, mais par volonté ; aimant d’ailleurs tout ce qu’a fait Dieu, et bien peu de ce qu’a fait l’homme. Je n’avais connu de la vie