voulez-vous que j’oublie que je l’aime, afin de la posséder aussi ? Si ce sont là vos amours, vous me faites pitié. »
Desgenais me répondit qu’il n’aimait que les filles, et qu’il n’y regardait pas de si près. « Mon cher Octave, ajouta-t-il, vous êtes bien jeune ; vous voudriez avoir bien des choses, et de belles choses, mais qui n’existent pas. Vous croyez à une singulière sorte d’amour ; peut-être en êtes-vous capable ; je le crois, mais ne le souhaite pas pour vous. Vous aurez d’autres maîtresses, mon ami, et vous regretterez un jour à venir ce qui vous est arrivé cette nuit. Quand cette femme est venue vous trouver, il est certain qu’elle vous aimait ; elle ne vous aime peut-être pas à l’heure qu’il est, elle est peut-être dans les bras d’un autre ; mais elle vous aimait cette nuit-là, dans cette chambre ; et que vous importe le reste ? Vous aviez là une belle nuit ; et vous la regretterez, soyez-en sûr, car elle ne reviendra plus. Une femme pardonne tout, excepté qu’on ne veuille pas d’elle. Il fallait que son amour pour vous fût terrible, pour qu’elle vînt vous trouver, se sachant et s’avouant coupable, se doutant peut-être qu’elle serait refusée. Croyez-moi, vous regretterez une nuit pareille, car c’est moi qui vous dis que vous n’en aurez guère. »
Il y avait dans tout ce que disait Desgenais un air de conviction si simple et si profond, une si désespérante tranquillité d’expérience, que je frissonnais en l’écoutant. Pendant qu’il parlait, j’éprouvai une tentation violente d’aller encore chez ma maîtresse, ou de lui écrire pour la faire venir. J’étais incapable de me lever ; cela me sauva de la honte de m’exposer de nouveau à la trouver ou attendant mon rival, ou enfermée avec