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Il y a une pièce espagnole, connue de tout le monde, dans laquelle une statue de pierre vient souper chez un débauché, envoyée par la justice céleste. Le débauché fait bonne contenance et s’efforce de paraître indifférent ; mais la statue lui demande la main, et dès qu’il la lui a donnée, l’homme se sent pris d’un froid mortel et tombe en convulsions.

Or, toutes les fois que, durant ma vie, il m’est arrivé d’avoir cru pendant longtemps avec confiance, soit à un ami, soit à une maîtresse, et de découvrir tout d’un coup que j’étais trompé, je ne puis rendre l’effet que cette découverte a produit sur moi qu’en le comparant à la poignée de main de la statue. C’est véritablement l’impression du marbre, comme si la réalité, dans toute sa mortelle froideur, me glaçait d’un baiser ; c’est le toucher de l’homme de pierre. Hélas ! l’affreux convive a frappé plus d’une fois à ma porte ; plus d’une fois nous avons soupé ensemble.

Cependant, les arrangements faits, nous nous mîmes en ligne mon adversaire et moi, avançant lentement l’un sur l’autre. Il tira le premier et me fracassa le bras droit. Je pris aussitôt mon pistolet de l’autre main ; mais je ne pus le soulever, la force me manquant, et je tombai sur un genou.

Alors je vis mon ennemi s’avancer précipitamment, d’un air inquiet et le visage très pâle. Mes témoins accoururent en même temps, voyant que j’étais blessé ; mais il les écarta et me prit la main de mon bras malade. Il avait les dents serrées et ne pouvait parler : je vis son angoisse. Il souffrait du plus affreux mal que l’homme puisse éprouver. « Va-t’en, lui criai-je, va-t’en t’essuyer aux draps de *** ! » Il suffoquait et moi aussi.

On me mit dans un fiacre, où je trouvai un médecin. La