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Elle ajouta avec un sourire : « À votre premier amour, nous nous reverrons sans danger.

— Non, mon amie ; car, sachez-le bien, je ne vous reverrai jamais sans amour. Puisse celui à qui je vous laisse, à qui je vous donne, être digne de vous ! Smith est brave, bon et honnête ; mais, quelque amour que vous ayez pour lui, vous voyez bien que vous m’aimez encore ; car, si je voulais rester ou vous emmener, vous y consentiriez.

— C’est vrai, répondit la femme.

— Vrai ? vrai ? répéta le jeune homme en la regardant de toute son âme ; vrai ? Si je voulais, vous viendriez avec moi ? » Puis il continua doucement : « C’est pour cette raison qu’il ne faut jamais nous revoir. Il y a de certains amours dans la vie qui bouleversent la tête, les sens, l’esprit et le cœur ; il y en a parmi tous un seul qui ne trouble pas, qui pénètre, et celui-là ne meurt qu’avec l’être dans lequel il a pris racine.

— Mais vous m’écrirez cependant ?

— Oui, d’abord, pendant quelque temps, car ce que j’ai à souffrir est si rude, que l’absence de toute forme habituelle et aimée me tuerait maintenant. C’est peu à peu et avec mesure que, n’étant pas connu de vous, je me suis approché, non sans crainte, que je suis devenu plus familier, qu’enfin… Ne parlons pas du passé. C’est peu à peu que mes lettres seront plus rares, jusqu’au jour où elles cesseront. Je redescendrai ainsi la colline que j’ai gravie depuis un an. Il y aura là une grande tristesse et peut-être aussi quelque charme. Lorsqu’on s’arrête, au cimetière, devant une tombe fraîche et verdoyante, où sont gravés deux noms chéris, on éprouve une douleur pleine de mystère qui fait couler