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ces petites chambres élevées d’où l’on découvre, dans tout son ensemble, l’un des plus beaux lieux qui soient au monde. Là, enfermés en tête à tête, quand le garçon se fut retiré, ils s’accoudèrent à la fenêtre et se serrèrent doucement la main. Le jeune homme était en habit de voyage ; à voir la joie qui paraissait sur son visage, on l’aurait pris pour un nouveau marié montrant pour la première fois à sa jeune femme la vie et les plaisirs de Paris. Sa gaîté était douce et calme comme l’est toujours celle du bonheur. Qui eût eu de l’expérience, y eût reconnu l’enfant qui devient homme, et dont le regard plus confiant commence à raffermir le cœur. De temps en temps il contemplait le ciel, puis revenait à son amie, et des larmes brillaient dans ses yeux ; mais il les laissait couler sur ses joues et souriait sans les essuyer. La femme était pâle et pensive ; elle ne regardait que son ami. Il y avait dans ses traits comme une souffrance profonde qui, sans faire d’efforts pour se cacher, n’osait cependant résister à la gaîté qu’elle voyait. Quand son compagnon souriait, elle souriait aussi, mais non pas toute seule ; quand il parlait, elle lui répondait, et elle mangeait ce qu’il lui servait ; mais il y avait en elle un silence qui ne semblait vivre que par instants. À sa langueur et à sa nonchalance, on distinguait clairement cette mollesse de l’âme, ce sommeil du plus faible entre deux êtres qui s’aiment, et dont l’un n’existe que dans l’autre et ne s’anime que par écho. Le jeune homme ne s’y trompait pas et en semblait fier et reconnaissant ; mais on voyait à sa fierté même que son bonheur lui était nouveau. Lorsque la femme s’attristait tout à coup et baissait les yeux vers la terre, il s’efforçait de prendre, pour la rassurer, un air ouvert et résolu ; mais il n’y pouvait pas toujours réussir et se troublait lui-même quelquefois.