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C’est autrefois qu’on voyait des fantômes ; la police les interdit à nos villes civilisées, et il n’y crie plus du sein de la terre que des vivants enterrés à la hâte. Qui eût rendu la mort muette, si elle avait jamais parlé ? Est-ce parce que les processions n’ont plus le droit d’encombrer nos rues, que l’esprit céleste se laisse oublier ? Mourir, voilà la fin, le but. Dieu l’a posé, les hommes le discutent ; mais chacun porte écrit au front : « Fais ce que tu veux, tu mourras. » Qu’en dirait-on, si je tuais Brigitte ? ni elle ni moi n’en entendrions rien. Il y aurait demain dans un journal qu’Octave de T*** a tué sa maîtresse, et après-demain on n’en parlerait plus. Qui nous suivrait au dernier cortège ? Personne qui, en rentrant chez soi, ne déjeunât tranquillement ; et nous, étendus côte à côte dans les entrailles de cette fange d’un jour, le monde pourrait marcher sur nous sans que le bruit des pas nous éveille. N’est-il pas vrai, ma bien-aimée, n’est-il pas vrai que nous y serions bien ? C’est un lit moelleux que la terre ; aucune souffrance ne nous y atteindrait ; on ne jaserait pas dans les tombes voisines de notre union devant Dieu ; nos ossements s’embrasseraient en paix et sans orgueil ; la mort est conciliatrice, et ce qu’elle noue ne se délie pas. Pourquoi le néant t’effraierait-il, pauvre corps qui lui es promis ? Chaque heure qui sonne t’y entraîne, chaque pas que tu fais brise l’échelon où tu viens de t’appuyer ; tu ne te nourris que de morts ; l’air du ciel te pèse et t’écrase, la terre que tu foules te tire à elle par la plante des pieds. Descends, descends ! Pourquoi tant d’épouvante ? est-ce un mot qui te fait horreur ? Dis seulement : « Nous ne vivrons plus. » N’est-ce pas là une grande fatigue dont il est doux de se reposer ? Comment se fait-il qu’on hésite, s’il n’y a que la différence d’un peu plus tôt à un peu