Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/296

Cette page n’a pas encore été corrigée

œuvre impie, et j’en avais en ce moment même la preuve devant les yeux. L’homme qui avait aimé Brigitte, qui l’avait offensée, puis insultée, puis délaissée, quittée pour la reprendre, remplie de craintes, assiégée de soupçons, jetée enfin sur ce lit de douleur où je la voyais étendue, c’était moi ! Je me frappais le cœur, et en la voyant, je n’y pouvais croire. Je contemplais Brigitte ; je la touchais comme pour m’assurer que je n’étais pas trompé par un songe. Mon propre visage que j’apercevais dans la glace, me regardait avec étonnement. Qu’était-ce donc que cette créature qui m’apparaissait sous mes traits ? qu’était-ce donc que cet homme sans pitié qui blasphémait avec ma bouche et torturait avec mes mains ? Était-ce lui que ma mère appelait Octave ? était-ce lui qu’autrefois, à quinze ans, parmi les bois et les prairies, j’avais vu dans les claires fontaines où je me penchais avec un cœur pur comme le cristal de leurs eaux ?

Je fermais les yeux, et je pensais aux jours de mon enfance. Comme un rayon de soleil qui traverse un nuage, mille souvenirs me traversaient le cœur. « Non, me disais-je, je n’ai pas fait cela. Tout ce qui m’entoure dans cette chambre n’est qu’un rêve impossible. » Je me rappelais le temps où j’ignorais, où je sentais mon cœur s’ouvrir à mes premiers pas dans la vie. Je me souvenais d’un vieux mendiant qui s’asseyait sur un banc de pierre devant la porte d’une ferme, et à qui on m’envoyait quelquefois porter, le matin, après déjeuner, les restes de notre repas. Je le voyais, tendant ses mains ridées, faible, courbé, me bénir en souriant. Je sentais le vent du matin glisser sur mes tempes, je ne sais quoi de frais comme la rosée qui tombait du ciel dans mon âme. Puis, tout à coup, je rouvrais les yeux, et je retrouvais,