une voix inconnue me répétait une vieille romance que depuis longtemps j’avais oubliée :
Altra volta gieri biele,
Blanch’e rossa com’un’fiore ;
Ma ora, no. Non son più biele,
Consumatis dal’amore.
C’était l’ancienne romance de ma première maîtresse, et ce patois mélancolique me semblait clair pour la première fois. Je le répétais comme si je n’eusse fait jusque-là que le conserver dans ma mémoire sans le comprendre. Pourquoi l’avais-je appris, et pourquoi m’en souvenais-je ? Elle était là, ma fleur fanée, prête à mourir, consumée par l’amour.
« Regarde-la, me dis-je en sanglotant ; regarde-là ! Pense à ceux qui se plaignent que leurs maîtresses ne les aiment pas ; la tienne t’aime, elle t’a appartenu ; et tu la perds, et n’as pas su l’aimer. »
Mais la douleur était trop forte ; je me levai et marchai de nouveau. « Oui, continuai-je, regarde-la ; pense à ceux que l’ennui dévore, et qui s’en vont traîner au loin une douleur qui n’est point partagée. Les maux que tu souffres, on en a souffert, et rien en toi n’est resté solitaire. Pense à ceux qui vivent sans mère, sans parents, sans chien, sans ami ; à ceux qui cherchent et ne trouvent pas, à ceux qui pleurent et qu’on en raille, à ceux qui aiment et qu’on méprise, à ceux qui meurent et sont oubliés. Devant toi, là, dans cette alcôve, repose un être que la nature avait peut-être formé pour toi. Depuis les sphères les plus élevées de l’intelligence jusqu’aux mystères les plus impénétrables de la matière et de la forme, cette âme et ce corps sont tes frères ; depuis six mois ta bouche n’a pas parlé, ton cœur n’a pas battu