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lit. Partir demain, c’était ma seule pensée, et peu à peu ce mot de partir me devenait intelligible. « Ah Dieu ! m’écriai-je tout à coup, ma pauvre maîtresse, je vous perds, et je n’ai pas su vous aimer ! »

Je tressaillis à ces paroles, comme si c’eût été un autre que moi qui les eût prononcées ; elles retentirent dans tout mon être, comme dans une harpe tendue un coup de vent qui va la briser. En un instant, deux ans de souffrances me traversèrent le cœur, et, après elles, comme leur conséquence et leur dernière expression, le présent me saisit. Comment rendrai-je une pareille douleur ? Par un seul mot peut-être, pour ceux qui ont aimé. J’avais pris la main de Brigitte, et, rêvant sans doute dans son sommeil, elle avait prononcé mon nom.

Je me levai et marchai dans la chambre ; un torrent de larmes coulait de mes yeux. J’étendais les bras comme pour ressaisir tout ce passé qui m’échappait. « Est-ce possible ? répétais-je ; quoi ! je vous perds ? je ne puis aimer que vous. Quoi ! vous partez ? c’en est fait pour toujours ? Quoi ! vous, ma vie, mon adorée maîtresse, vous me fuyez, je ne vous verrai plus ? Jamais, jamais ! disais-je tout haut ; et m’adressant à Brigitte endormie, comme si elle eût pu m’entendre : « Jamais, jamais, n’y comptez pas ; jamais je n’y consentirai. Et qu’est-ce donc ? pourquoi tant d’orgueil ? N’y a-t-il plus aucun moyen de réparer l’offense que je vous ai faite ? Je vous en prie, cherchons ensemble. Ne m’avez-vous pas pardonné mille fois ? Mais vous m’aimez, vous ne pourrez partir, et le courage vous manquera. Que voulez-vous que nous fassions ensuite ? »

Une démence horrible, effrayante, s’empara de moi subitement ;