sourde, où je ne distinguais rien clairement. J’étais courbé près de l’alcôve, et quoique j’eusse vu dès le premier instant toute l’étendue de mon malheur, je n’en sentais pas la souffrance. Ce que mon esprit comprenait, mon âme, faible et épouvantée, semblait reculer pour n’en rien voir. « Allons, me disais-je, cela est certain ; je l’ai voulu, et je l’ai fait ; il n’y a pas le moindre doute que nous ne pouvons plus vivre ensemble ; je ne veux pas tuer cette femme, ainsi je n’ai plus qu’à la quitter. Voilà qui est fait ; je m’en irai demain. » Et, tout en me parlant ainsi, je ne pensais ni à mes torts, ni au passé, ni à l’avenir ; je ne me souvenais ni de Smith ni de quoi que ce soit en ce moment ; je n’aurais pu dire qui m’avait amené là, ni ce que j’avais fait depuis une heure. Je regardais les murs de la chambre, et je crois que tout ce qui m’occupait était de chercher pour le lendemain par quelle voiture je m’en irais.
Je demeurai assez longtemps dans cet état de calme étrange. Comme un homme frappé d’un coup de poignard ne sent d’abord que le froid du fer ; il fait encore quelques pas sur sa route, et, stupéfait, les yeux égarés, il se demande ce qui lui arrive. Mais peu à peu le sang vient goutte à goutte, la plaie s’entr’ouvre et le laisse couler ; la terre se teint d’une pourpre noire, la mort arrive ; l’homme, à son approche, frissonne d’horreur et tombe foudroyé. Ainsi, tranquille en apparence, j’écoutais venir le malheur ; je me répétais à voix basse ce que Brigitte m’avait dit, et je disposais autour d’elle tout ce que je savais d’habitude qu’on lui préparait pour la nuit ; puis je la regardais, puis j’allais à la fenêtre et j’y restais le front collé aux vitres, devant un grand ciel sombre et lourd ; puis je revenais près du