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à une démarche qui troublera à jamais mon repos ? Ma tête se perd ; je ne sais où j’en suis. »

Elle se pencha en pleurant sur moi. « Folle, folle ! » répétait-elle avec une voix déchirante.

« Et qu’est-ce donc ? continua-t-elle, jusques à quand persévérerez-vous ? Que puis-je faire à ces soupçons sans cesse renaissants, sans cesse altérés ? Il faut, dites-vous, que je me justifie ! de quoi ? de partir, d’aimer, de mourir, de désespérer ? et si j’affecte une gaîté forcée, cette gaîté même vous offense. Je vous sacrifie tout pour partir, et vous n’aurez pas fait une lieue que vous regarderez en arrière. Partout, toujours, quoi que je fasse, l’injure, la colère. Ah ! cher enfant, si vous saviez quel froid mortel, quelle souffrance de voir ainsi la plus simple parole du cœur accueillie par le doute et le sarcasme ! Vous vous priverez par là du seul bonheur qu’il y ait au monde : aimer avec abandon. Vous tuerez dans le cœur de ceux qui vous aiment tout sentiment délicat et élevé ; vous en viendrez à ne plus croire qu’à ce qu’il y a de plus grossier ; il ne vous restera de l’amour que ce qui est visible et se touche du doigt. Vous êtes jeune, Octave, et vous avez encore une longue vie à parcourir ; vous aurez d’autres maîtresses. Oui, comme vous dites, l’orgueil est peu de chose, et ce n’est pas lui qui me consolera ; mais Dieu veuille qu’une larme de vous me paie un jour de celles que vous me faites répandre en ce moment. »

Elle se leva. « Faut-il donc le dire ? faut-il donc que vous le sachiez, que depuis six mois je ne me suis pas couchée un soir sans me répéter que tout était inutile et que vous ne guéririez jamais ; que je ne me suis pas levée un matin sans me dire qu’il fallait essayer encore ; que vous n’avez pas dit une parole que je ne sentisse que