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Elle mit tant de douceur dans ces paroles que je me jetai à ses genoux. Qui eût résisté à son regard et au son divin de sa voix ? « Mon Dieu ! m’écriai-je, vous m’aimez, Brigitte ? ma chère maîtresse, vous m’aimez ?

— Oui, je vous aime, oui, je vous appartiens ; faites de moi ce que vous voudrez. Je vous suivrai ; partons ensemble ; venez, Octave, on nous attend. »

Elle serrait ma main dans les siennes et me donna un baiser sur le front. « Oui, il le faut, murmura-t-elle ; oui, je le veux, jusqu’au dernier soupir.

— Il le faut ? me dis-je à moi-même. » Je me levai. Il ne restait plus sur la table qu’une seule feuille de papier que Brigitte parcourait des yeux. Elle la prit, la retourna, puis la laissa tomber à terre. « Est-ce tout ? demandai-je.

— Oui, c’est tout. »

Lorsque j’avais fait venir les chevaux, ce n’avait pas été avec la pensée que nous partirions en effet. Je ne voulais que faire une tentative ; mais, par la force même des choses, elle était devenue véritable. J’ouvris la porte. « Il le faut ! me disais-je ; il le faut ! répétai-je tout haut. Que veut dire ce mot, Brigitte ? qu’y a-t-il donc que j’ignore ici ? Expliquez-vous, sinon je reste. Pourquoi faut-il que vous m’aimiez ? »

Elle tomba sur le canapé et se tordit les mains de douleur. « Ah ! malheureux ! malheureux ! dit-elle, tu ne sauras jamais aimer !

— Eh bien ! peut-être, oui, je le crois ; mais, devant Dieu ! je sais souffrir. Il faut que vous m’aimiez, n’est-ce pas ? eh bien ! il faut aussi me répondre. Quand je devrais vous perdre à jamais, quand ces murs devraient crouler sur ma tête, je ne sortirai pas d’ici que je ne sache quel est ce mystère qui me torture depuis