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Comme un amant, dès qu’il se voit seul, tire de son sein une lettre de sa maîtresse et s’ensevelit dans un rêve chéri, ainsi je m’enfonçais à plaisir dans le sentiment d’une profonde solitude, et je m’enfermais pour douter. J’avais devant moi les deux sièges vides que Smith et Brigitte venaient d’occuper ; je les regardais d’un œil avide, comme s’ils eussent pu m’apprendre quelque chose. Je repassais mille fois dans ma tête ce que j’avais vu et entendu ; de temps en temps, j’allais à la porte, et je jetais les yeux sur nos malles qui étaient rangées contre le mur et qui attendaient depuis un mois ; je les entr’ouvrais doucement, j’examinais les hardes, les livres, rangés en ordre par ces petites mains soigneuses et délicates ; j’écoutais passer les voitures ; leur bruit me faisait palpiter le cœur. J’étalais sur la table notre carte d’Europe, témoin naguère de si doux projets ; et là, en présence même de toutes mes espérances, dans cette chambre où je les avais conçues et vues si près de se réaliser, je me livrais à cœur ouvert aux plus affreux pressentiments.

Comment cela était-il possible ? je ne sentais ni colère ni jalousie, et cependant une douleur sans bornes. Je ne soupçonnais pas, et pourtant je doutais. L’esprit de l’homme est si bizarre qu’il sait se forger, avec ce qu’il voit et malgré ce qu’il voit, cent sujets de souffrance. En vérité sa cervelle ressemble à ces cachots de l’Inquisition où les murailles sont couvertes de tant d’instruments de supplice qu’on n’en comprend ni le but ni la forme, et qu’on se demande en les voyant si ce sont des tenailles ou des jouets. Dites-moi, je vous le demande, quelle différence il y a de dire à sa maîtresse : Toutes les femmes trompent, ou de lui dire : Vous me trompez ?