Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/258

Cette page n’a pas encore été corrigée

sang. J’entends un cri et je me retourne. Je vis deux mains qui s’agitaient à la surface de l’eau, puis tout disparut. Nous plongeâmes aussitôt ; ce fut en vain, et, une heure après seulement on parvint à retirer le cadavre engagé sous un train de bois.

L’impression que j’éprouvai tandis que je plongeais dans la rivière ne sortira jamais de ma mémoire. Je regardais de tous côtés, dans les couches d’eau obscures et profondes qui m’enveloppaient avec un sourd murmure. Tant que je pouvais retenir mon haleine, je m’enfonçais toujours plus avant ; puis je revenais à la surface, j’échangeais une question avec quelque autre nageur aussi inquiet que moi ; puis je retournais à cette pêche humaine. J’étais plein d’horreur et d’espérance ; l’idée que j’allais peut-être me sentir saisi par deux bras convulsifs me causait une joie et une terreur indicibles, et ce ne fut qu’exténué de fatigue que je remontai dans le bateau.

Quand la débauche n’abrutit pas l’homme, une de ses suites nécessaires est une étrange curiosité. J’ai dit plus haut celle que j’avais ressentie à ma première visite à Desgenais. Je m’expliquerai davantage.

La vérité, squelette des apparences, veut que tout homme, quel qu’il soit, vienne à son jour et à son heure toucher ses ossements éternels au fond de quelque plaie passagère. Cela s’appelle connaître le monde, et l’expérience est à ce prix.

Or, il arrive que devant cette épreuve les uns reculent épouvantés ; les autres, faibles et effrayés, en restent vacillants comme des ombres. Quelques créatures, les meilleures peut-être, en meurent aussitôt. Le plus grand nombre oublie, et ainsi tout flotte à la mort.

Mais certains hommes, à coup sûr malheureux, ne reculent