Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/257

Cette page n’a pas encore été corrigée

comme une statue, à les regarder, lorsque dans plus d’une occasion semblable je m’étais montré violent jusques à la fureur ? Je n’avais pas la force de bouger, moi qui m’étais senti en amour de ces jalousies presque féroces, comme on en voit en Orient. Je passais mes journées à attendre, et je n’aurais pu dire ce que j’attendais. Je m’asseyais le soir sur mon lit, et me disais : « Voyons, pensons à cela. » Je mettais ma tête dans mes mains, puis je m’écriais : « C’est impossible ! » et je recommençais le jour suivant.

En présence de Smith, Brigitte me témoignait plus d’amitié que quand nous étions seuls. Il arriva un soir, comme nous venions d’échanger quelques mots assez durs ; quand elle entendit sa voix dans l’antichambre, elle vint s’asseoir sur mes genoux. Pour lui, toujours tranquille et triste, il semblait qu’il fît sur lui-même un effort continuel. Ses moindres gestes étaient mesurés ; il parlait peu et lentement ; mais les mouvements brusques qui lui échappaient n’en étaient que plus frappants par leur contraste avec sa contenance habituelle.

Dans la circonstance où je me trouvais, puis-je appeler curiosité l’impatience qui me dévorait ? Qu’aurais-je répondu, si quelqu’un fût venu me dire : « Que vous importe ? vous êtes bien curieux. » Peut-être cependant n’était-ce pas autre chose.

Je me souviens qu’un jour, au Pont-Royal, je vis un homme se noyer. Je faisais avec des amis ce qu’on appelle une pleine-eau, à l’école de natation, et nous étions suivis par un bateau où se tenaient deux maîtres-nageurs. C’était au plus fort de l’été ; notre bateau en avait rencontré un autre, en sorte que nous nous trouvions plus de trente sous la grande arche du pont. Tout à coup, au milieu de nous, un jeune homme est pris d’un coup de