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et le domestique m’ayant appelé pour quelque affaire, je sortis quelques instants après.

Lorsque je rentrai, Smith était appuyé sur la table et regardait l’estampe avec tant d’attention qu’il ne s’aperçut pas que je fusse revenu. Il était absorbé dans une rêverie profonde ; je repris ma place auprès du feu, et ce ne fut qu’à la première parole que j’adressai à Brigitte, qu’il releva la tête. Il nous regarda tous deux un moment ; puis il prit congé de nous à la hâte, et comme il traversait la salle à manger, je le vis se frapper le front.

Quand je surprenais ces signes de douleur, je me levais et courais m’enfermer. « Et qu’est-ce donc ? qu’est-ce donc ? » répétais-je. Puis je joignais les mains pour supplier… qui ? je l’ignore ; peut-être mon bon ange, peut-être mon mauvais destin.


CHAPITRE IV

Mon cœur me criait de partir, et cependant je tardais toujours ; une volupté secrète et amère me clouait le soir à ma place. Quand Smith devait venir, je n’avais point de repos que je n’eusse entendu le bruit de la sonnette. Comment se fait-il qu’il y ait ainsi en nous je ne sais quoi qui aime le malheur ?

Chaque jour un mot, un éclair rapide, un regard, me faisaient frémir ; chaque jour un autre mot, un autre regard, par une impression contraire, me rejetaient dans l’incertitude. Par quel mystère inexplicable les voyais-je si tristes tous deux ? Par quel autre mystère restais-je immobile,