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C’était de ma propre volonté que j’avais retardé notre départ, et déjà je m’en repentais. Brigitte aussi, quelquefois, me pressait. « Qui nous arrête ? disait-elle ; me voilà guérie, tout est prêt. » Qui m’arrêtait, en effet ? Je ne sais.

Assis près de la cheminée, je fixais mes yeux alternativement sur Smith et sur ma maîtresse. Je les voyais tous deux pâles, sérieux, muets. J’ignorais pourquoi ils étaient ainsi, et malgré moi je me répétais que ce pouvait bien être pour la même cause, et qu’il n’y avait pas là deux secrets à apprendre. Mais ce n’était pas un de ces soupçons vagues et maladifs qui m’avaient tourmenté autrefois, c’était un instinct invincible, fatal. Quelle étrange chose que nous ! je me plaisais à les laisser seuls, et à les quitter au coin du feu pour aller rêver sur le quai, m’appuyer sur le parapet, et regarder l’eau comme un oisif des rues.

Lorsqu’ils parlaient de leur séjour à N***, et que Brigitte, presque enjouée, prenait un petit ton de mère, pour lui rappeler les jours passés ensemble, il me semblait que je souffrais et cependant j’y prenais plaisir. Je leur faisais des questions ; je parlais à Smith de sa mère, de ses occupations, de ses projets. Je lui donnais occasion de se montrer dans un jour favorable, et je forçais sa modestie à nous révéler son mérite. « Vous aimez beaucoup votre sœur, n’est-il pas vrai ? lui demandais-je. Quand comptez-vous la marier ? » Il nous disait alors en rougissant que le ménage coûtait beaucoup, que ce serait fait peut-être dans deux ans, peut-être plus tôt, si sa santé lui permettait quelques travaux extraordinaires qui lui valaient des gratifications ; qu’il y avait dans le pays une famille assez à l’aise dont le fils aîné était son ami ; qu’ils étaient presque d’accord ensemble,