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Il me repoussa avec force et comme avec une terreur étrange. Lorsqu’il fut enfin revenu à lui :

« Excusez-moi, dit-il d’une voix faible ; je suis hors d’état de vous recevoir. Soyez assez bon pour me laisser ; dès que mes forces me le permettront, j’irai vous remercier de votre visite. »


CHAPITRE III

Brigitte se portait mieux. Comme elle me l’avait dit, elle avait voulu partir aussitôt guérie. Mais je m’y étais opposé, et nous devions attendre encore une quinzaine qu’elle fût en état de supporter le voyage.

Toujours triste et silencieuse, elle était pourtant bienveillante. Quoi que je fisse pour la déterminer à me parler à cœur ouvert, la lettre qu’elle m’avait montrée était, disait-elle, le seul motif de sa mélancolie, et elle me priait qu’il n’en fût plus question. Ainsi réduit moi-même à me taire comme elle, je cherchais vainement à deviner ce qui se passait dans son cœur. Le tête-à-tête nous pesait à tous deux et nous allions au spectacle tous les soirs. Là, assis l’un près de l’autre dans le fond d’une loge, nous nous serrions quelquefois la main ; de temps en temps un beau morceau de musique, un mot qui nous frappait, nous faisait échanger des regards amis ; mais, pour aller comme pour revenir nous restions muets, plongés dans nos pensées. Vingt fois par jour, je me sentais prêt à me jeter à ses pieds, et à lui demander comme une grâce de me donner le coup de la mort ou de me rendre le bonheur que j’avais entrevu ; vingt fois,