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Nous nous séparâmes sur ces mots, et la mortelle froideur dont elle les avait prononcés m’attrista plus qu’un refus ne l’aurait fait. Ce n’était pas la première fois que, par des avis de ce genre, on tentait de rompre notre liaison ; mais jusqu’ici quelque impression que de pareilles lettres eussent faite sur Brigitte, elle s’en était bientôt distraite. Comment croire que ce seul motif eût aujourd’hui sur elle tant de force, lorsqu’il n’avait rien pu dans des temps moins heureux ? Je cherchais si, dans ma conduite depuis que nous étions à Paris, je n’avais rien à me reprocher. « Serait-ce seulement, me disais-je, la faiblesse d’une femme qui a voulu faire un coup de tête, et qui, au moment de l’exécution, recule devant sa propre volonté ? Serait-ce ce que les libertins pourraient nommer un dernier scrupule ? Mais cette gaîté qu’il y a huit jours Brigitte montrait du matin au soir, ces projets si doux, quittés, repris sans cesse, ces promesses, ces protestations, tout cela pourtant était franc, réel, sans aucune contrainte. C’était malgré moi qu’elle voulait partir. Non, il y a là quelque mystère ; et comment le savoir, si maintenant, quand je la questionne, elle me paie d’une raison qui ne peut être la véritable ? Je ne puis lui dire qu’elle ment ni la forcer à répondre autre chose. Elle me dit qu’elle veut toujours partir ; mais si elle le dit de ce ton, ne dois-je pas refuser absolument ? Puis-je accepter un sacrifice pareil, quand il s’accomplit comme une tâche, comme une condamnation ? quand ce que je croyais m’être offert par l’amour, j’en viens pour ainsi dire à l’exiger de la parole donnée ? Ô Dieu ! serait-ce donc cette pâle et languissante créature que j’emporterais dans mes bras ? N’emmènerais-je si loin de la patrie, pour si longtemps, pour la vie peut-être, qu’une victime