Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/238

Cette page n’a pas encore été corrigée

Je ne pouvais faire attention à ce qui se passait ni sur le théâtre ni dans la salle ; j’étais navré d’une telle douleur et en même temps si stupéfait, que je ne vivais, pour ainsi dire, qu’en moi, et que les objets extérieurs ne semblaient plus frapper mes sens. Toutes mes forces concentrées se portaient sur une pensée, et plus je la remuais dans ma tête, moins j’y pouvais voir nettement. Quel obstacle affreux, survenu tout à coup, renversait ainsi, à la veille du départ, tant de projets et d’espérances ? S’il s’agissait d’un événement ordinaire ou même d’un malheur véritable, comme d’un accident de fortune ou de la perte de quelque ami, pourquoi ce silence obstiné ? Après tout ce qu’avait fait Brigitte, dans un moment où nos rêves les plus chers paraissaient près de se réaliser, de quelle nature pouvait être un secret qui détruisait notre bonheur et qu’elle refusait de me confier ? Quoi ! c’est de moi qu’elle se cache ? Que ses chagrins, que ses affaires, la crainte même de l’avenir, je ne sais quel motif de tristesse, d’incertitude ou de colère, la retiennent ici quelque temps ou la fassent renoncer pour toujours à ce voyage si désiré, par quelle raison ne pas s’ouvrir à moi ? Dans l’état où se trouvait mon cœur, je ne pouvais cependant supposer qu’il y eût là rien de blâmable. L’apparence seule d’un soupçon me révoltait et me faisait horreur. Comment, d’autre part, croire à de l’inconstance ou à du caprice seulement dans cette femme telle que je la connaissais ? Je me perdais dans un abîme, et ne voyais pas même la plus faible lueur, le moindre point qui pût me fixer.

Il y avait en face de moi, à la galerie, un jeune homme dont les traits ne m’étaient pas inconnus. Comme il arrive souvent quand on a l’esprit préoccupé, je le regardais sans m’en rendre compte, et je cherchais à mettre