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D’UN ENFANT DU SIÈCLE.

instant, le postillon partit ; je sentis deux bras qui me serraient le corps, et un sanglot qui se collait sur ma bouche.

C’était Brigitte. Je fis tout au monde pour la décider à rester ; je criai qu’on arrêtât ; je lui dis tout ce que je pus imaginer pour lui persuader de descendre ; j’allai même jusqu’à lui promettre que je reviendrais un jour à elle, lorsque le temps et les voyages auraient effacé le souvenir du mal que je lui avais fait. Je m’efforçai de lui prouver que ce qui avait été hier serait encore demain ; je lui répétai que je ne pouvais que la rendre malheureuse, que s’attacher à moi c’était faire de moi un assassin. J’employai la prière, les serments, la menace même ; elle ne me répondit qu’un mot : « Tu pars, emmène-moi ; quittons le pays, quittons le passé. Nous ne pouvons plus vivre ici ; allons ailleurs, où tu voudras ; allons mourir dans un coin de la terre. Il faut que nous soyons heureux, moi par toi, toi par moi. »

Je l’embrassai avec un tel transport que je crus sentir mon cœur se briser. « Pars donc ! » criai-je au postillon. Nous nous jetâmes dans les bras l’un de l’autre, et les chevaux partirent au galop.