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à son aise, on attendait que je fusse parti. Je rentrais alors au logis, et je disais à Brigitte que tous ces contes n’étaient que des misères et qu’il fallait être fou pour s’en occuper ; qu’on parlerait de nous tant qu’on voudrait, et que je n’en voulais rien savoir.

N’étais-je point coupable au-delà de toute expression ? Si Brigitte était imprudente, n’était-ce pas à moi de réfléchir et de l’avertir du danger ? Tout au contraire, je pris, pour ainsi dire, le parti du monde contre elle.

J’avais commencé par me montrer insouciant ; j’en vins bientôt à me montrer méchant. « Vraiment, disais-je à Brigitte, on dit du mal de vos excursions nocturnes. Êtes-vous bien sûre qu’on a tort ? Ne s’est-il rien passé dans les allées et dans les grottes de cette forêt romantique ? N’avez-vous jamais accepté, pour rentrer à la brune, le bras d’un inconnu, comme vous avez accepté le mien ? Était-ce bien la charité seule qui vous servait de divinité dans ce beau temple de verdure que vous traversiez si courageusement ? »

Le premier regard de Brigitte, lorsque je commençai à prendre ce ton, ne sortira jamais de ma mémoire ; j’en frissonnai moi-même. « Mais, bah ! pensai-je, elle ferait comme ma première maîtresse, si je prenais fait et cause pour elle ; elle me montrerait au doigt comme un sot ridicule, et je paierais pour tous aux yeux du public. »

De l’homme qui doute à celui qui renie, il n’y a guère de distance. Tout philosophe est cousin d’un athée. Après avoir dit à Brigitte que je doutais de sa conduite passée, j’en doutai véritablement, et dès que j’en doutai, je n’y crus pas.

J’en venais à me figurer que Brigitte me trompait, elle que je ne quittais pas une heure par jour ; je faisais quelquefois