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a dit ce triste mot : “Fais-toi un habit de taffetas changeant, car ton cœur est semblable à l’opale aux mille couleurs.” Et moi, Octave, ajouta-t-elle en me montrant sa robe de deuil, je suis vouée à une seule couleur et pour longtemps : je n’en changerai plus.

— Quittez le pays si vous voulez ; ou je me tuerai, ou je vous suivrai. Ah ! Brigitte, continuai-je en me mettant à genoux devant elle, vous avez pensé que vous étiez seule en voyant mourir votre tante ! C’est la plus cruelle punition que vous puissiez m’infliger ; jamais je n’ai senti avec plus de douleur la misère de mon amour pour vous. Il faut que vous rétractiez cette pensée horrible ; je la mérite, mais elle me tue. Ô Dieu ! serait-ce vrai que je compte pour rien dans votre vie, ou que je n’y suis quelque chose que par le mal que je vous fais ?

— Je ne sais, dit-elle, qui s’occupe de nous ; il s’est répandu depuis quelque temps, dans ce village et dans les environs, des discours singuliers. Les uns disent que je me perds ; on m’accuse d’imprudence et de folie ; les autres vous représentent comme un homme cruel et dangereux. On a fouillé, je ne sais comment, jusque dans nos plus secrètes pensées ; ce que je croyais savoir seule, ces inégalités dans votre conduite et les tristes scènes auxquelles elles ont donné lieu, tout cela est connu ; ma pauvre tante m’en a parlé, et il y a longtemps qu’elle le savait sans en rien dire. Qui sait si tout cela ne l’a pas fait descendre plus vite, plus cruellement, dans le tombeau ? Lorsque je rencontre à la promenade mes anciennes amies, elles m’abordent froidement ou s’éloignent à mon approche ; mes chères paysannes elles-mêmes, ces bonnes filles qui m’aimaient tant, lèvent les épaules