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cœur est bien peu sûr de lui, je suis encore bien faible ; ma vie, dans ce village, était si tranquille avant que tu n’y fusses venu ! je m’étais tant promis de n’y rien changer ! Tout cela me rend exigeante. Eh bien ! n’importe, je suis à toi. Tu m’as dit, dans tes bons moments, que la Providence m’a chargée de veiller sur toi comme une mère. C’est la vérité, mon ami ; je ne suis pas votre maîtresse tous les jours ; il y en a beaucoup où je suis, où je veux être votre mère. Oui, lorsque vous me faites souffrir, je ne vois plus en vous mon amant ; vous n’êtes plus qu’un enfant malade, défiant ou mutin, que je veux soigner ou guérir pour retrouver celui que j’aime et que je veux toujours aimer. Que Dieu me donne cette force ! ajouta-t-elle en regardant le ciel. Que Dieu qui nous voit, qui m’entend, que le Dieu des mères et des amantes me laisse accomplir cette tâche ! Quand je devrais y succomber, quand mon orgueil qui se révolte, mon pauvre cœur qui se brise malgré moi, quand toute ma vie… »

Elle n’acheva pas ; ses larmes l’arrêtèrent. Ô Dieu ! je l’ai vue là sur ses genoux, les mains jointes, inclinée sur la pierre ; le vent la faisait vaciller devant moi comme les bruyères qui nous environnaient. Frêle et sublime créature ! elle priait pour son amour. Je la soulevai dans mes bras. « Ô mon unique amie ! m’écriai-je, ô ma maîtresse, ma mère et ma sœur ! demande aussi pour moi que je puisse t’aimer comme tu le mérites ! Demande que je puisse vivre ; que mon cœur se lave dans tes larmes ; qu’il devienne une hostie sans tache, et que nous la partagions devant Dieu ! »

Nous nous renversâmes sur la pierre. Tout se taisait autour de nous ; au-dessus de nos têtes se déployait le