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connais maintenant. La première fois que je t’ai vu ainsi, j’ai été prise d’une terreur dont rien ne peut te donner l’idée. J’ai cru que tu n’étais qu’un roué, que tu m’avais trompée à dessein par l’apparence d’un amour que tu n’éprouvais pas, et que je te voyais tel que tu étais véritablement. Ô mon ami ! j’ai pensé à la mort ; quelle nuit j’ai passée ! Tu ne connais pas ma vie ; tu ne sais pas que, moi qui te parle, je n’ai pas fait du monde une expérience plus douce que la tienne. Hélas ! elle est douce la vie, mais c’est à ceux qui ne la connaissent pas.

« Vous n’êtes pas, mon cher Octave, le premier homme que j’aie aimé. Il y a, au fond de mon cœur, une histoire fatale que je désire que vous sachiez. Mon père m’avait destinée, jeune encore, au fils unique d’un vieil ami. Ils étaient voisins de campagne, et possédaient deux petits domaines à peu près d’égale valeur. Les deux familles se voyaient tous les jours et vivaient pour ainsi dire ensemble. Mon père mourut ; il y avait longtemps que nous avions perdu ma mère. Je demeurai sous la garde de ma tante, que vous connaissez. Un voyage qu’elle fut obligée de faire quelque temps après la força de me confier à son tour à mon futur beau-père. Il ne m’appelait jamais autrement que sa fille, et il était si bien connu dans le pays, que je devais épouser son fils, qu’on nous laissait tous deux ensemble avec la plus grande liberté.

« Ce jeune homme, dont il est inutile de vous dire le nom, avait toujours paru m’aimer. Ce qui était depuis des années une amitié d’enfance devint de l’amour avec le temps. Il commençait, quand nous étions seuls, à me parler du bonheur qui nous attendait ; il me peignait son impatience. J’étais plus jeune que lui d’