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le premier mot qu’on vous dit, et je n’ai pas le droit de souffrir d’une insulte que vous me faites. Vous n’êtes plus l’homme que j’ai aimé.

— Je sais, lui dis-je, ce que c’est que vos souffrances. À quoi tient-il qu’elles ne se renouvellent à chaque pas que je ferai ? Je n’aurai bientôt plus la permission d’adresser la parole à une autre que vous. Vous feignez d’être maltraitée afin de pouvoir insulter vous-même. Vous m’accusez de tyrannie pour que je devienne un esclave ; puisque je trouble votre repos, vivez en paix ; vous ne me verrez plus. »

Nous nous quittâmes avec colère, et je passai un jour sans la voir. Le lendemain soir, vers minuit, je me sentis une telle tristesse que je ne pus y résister. Je versai un torrent de larmes ; je m’accablai moi-même d’injures que je méritais bien. Je me dis que je n’étais qu’un fou, et qu’une méchante espèce de fou, de faire souffrir la plus noble, la meilleure des créatures. Je courus chez elle pour me jeter à ses pieds.

En entrant dans le jardin, je vis sa chambre éclairée, et une pensée douteuse me traversa l’esprit. « Elle ne m’attend pas à cette heure, me dis-je ; qui sait ce qu’elle fait ? Je l’ai laissée en larmes hier ; je vais peut-être la retrouver en train de chanter, et ne se souciant pas plus de moi que si je n’existais pas. Elle est peut-être à sa toilette, comme l’autre. Il faut que j’entre doucement et que je sache à quoi m’en tenir. »

Je m’avançai sur la pointe du pied, et, la porte se trouvant par hasard entr’ouverte, je pus voir Brigitte sans être vu.

Elle était assise devant sa table, et écrivait dans ce même livre qui avait causé mes premiers doutes sur son compte. Elle tenait dans sa main gauche une petite boîte