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du plaisir et de la peine. Je la voyais clairement jalouse ; mais au lieu d’en être touché, je fis tout ce qu’il fallait pour l’inquiéter davantage.

Je m’attendais, en revenant, à des reproches de sa part ; non seulement elle ne m’en fit pas, mais elle resta sombre et muette le lendemain et le jour suivant. Quand j’arrivais chez elle, elle venait à moi et m’embrassait ; après quoi, nous nous asseyions l’un en face de l’autre, préoccupés tous deux et échangeant à peine quelques paroles insignifiantes. Le troisième jour, elle parla, éclata en reproches amers, me dit que ma conduite était inexplicable, qu’elle ne savait qu’en penser, sinon que je ne l’aimais plus, mais qu’elle ne pouvait supporter cette vie, et qu’elle était résolue à tout plutôt que de souffrir mes bizarreries et mes froideurs. Elle avait les yeux pleins de larmes, et j’étais prêt à lui demander pardon, lorsqu’il lui échappa tout à coup quelques mots tellement amers que mon orgueil se révolta. Je lui répliquai sur le même ton, et notre querelle prit un caractère de violence. Je lui dis qu’il était ridicule que je ne pusse inspirer à ma maîtresse assez de confiance pour qu’elle s’en rapportât à moi sur les actions les plus ordinaires ; que madame Daniel n’était qu’un prétexte ; qu’elle savait fort bien que je ne pensais pas sérieusement à elle ; que sa prétendue jalousie n’était qu’un despotisme très réel, et que, du reste, si cette vie la fatiguait, il ne tenait qu’à elle de la rompre.

« Soit, me répondit-elle. Aussi bien, depuis que je suis à vous, je ne vous reconnais plus ; vous avez sans doute joué une comédie pour me persuader que vous m’aimiez ; elle vous lasse, et vous n’avez plus que du mal à me rendre. Vous me soupçonnez de vous tromper sur