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me semble qu’il est inutile d’apprendre à un tiers que vous ne l’avez pas tous les jours.

— Est-il possible, répondis-je en riant, que cela ait quelque importance ? Vous voyez bien que je me moque et que c’est pour passer le temps.

— Ah, mon ami, mon ami ! dit Brigitte, c’est un malheur qu’il faille passer le temps. »

Quelques jours après je lui proposai d’aller nous-mêmes à la préfecture, et de voir danser madame Daniel ; elle y consentit à regret. Tandis qu’elle achevait sa toilette, j’étais auprès de la cheminée, je lui fis quelque reproche sur ce qu’elle perdait son ancienne gaîté. « Qu’avez-vous donc ? lui demandai-je (je le savais aussi bien qu’elle) ; pourquoi cet air morose qui maintenant ne vous quitte plus ? En vérité, vous nous ferez vivre dans un tête-à-tête un peu triste. Je vous ai connu autrefois un caractère plus joyeux, plus libre et plus ouvert ; il n’est guère flatteur pour moi de voir que je l’ai fait changer. Mais vous avez l’esprit claustral ; vous étiez née pour vivre au couvent. »

C’était un dimanche ; quand nous passâmes sur la promenade, Brigitte fit arrêter la voiture pour dire bonsoir à quelques bonnes amies, fraîches et braves filles de campagne qui s’en allaient danser aux Tilleuls. Après qu’elle les eut quittées, elle eut longtemps la tête à la portière ; son petit bal lui était cher ; elle porta son mouchoir à ses yeux.

Nous trouvâmes à la préfecture madame Daniel dans toute sa joie. Je commençai à la faire danser assez souvent pour qu’on le remarquât ; je lui fis mille compliments, et elle y répondit de son mieux.

Brigitte était en face de nous ; son regard ne nous quittait pas. Ce que j’éprouvais est difficile à dire ; c’était