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la vie ! De l’humeur enjouée dont elle est peut-on souhaiter une plus charmante maîtresse ? » J’entreprenais alors son éloge ; son babillage insignifiant devenait un laisser-aller plein de finesse, ses prétentions exagérées une envie de plaire toute naturelle ; était-ce sa faute si elle était pauvre ? du moins elle ne pensait qu’au plaisir et le confessait franchement ; elle ne faisait pas de sermons et n’écoutait pas ceux des autres. J’allais jusqu’à dire à Brigitte qu’elle devait la prendre pour modèle, et que c’était là tout à fait le genre de femmes qui me plaisait.

La pauvre madame Daniel surprit dans les yeux de Brigitte quelques signes de mélancolie. C’était une étrange créature, aussi bonne et aussi sincère, quand on la tirait de ses chiffons, qu’elle était sotte quand elle les avait en tête. Elle fit, à cette occasion, une action toute semblable à elle, c’est-à-dire à la fois bonne et sotte. Un beau jour, à la promenade, comme elles étaient toutes deux seules, elle se jeta dans les bras de Brigitte, lui dit qu’elle s’apercevait que je commençais à lui faire la cour, et que je lui adressais des propos dont l’intention n’était pas douteuse ; mais qu’elle savait que j’étais l’amant d’une autre, et que pour elle, quoi qu’il pût arriver, elle mourrait plutôt que de détruire le bonheur d’une amie. Brigitte la remercia, et madame Daniel, ayant mis sa conscience en repos, ne se fit plus faute d’œillades pour me désoler de son mieux.

Lorsque, le soir, elle fut partie, Brigitte me dit d’un ton sévère ce qui s’était passé dans le bois ; elle me pria de lui épargner de pareils affronts à l’avenir. « Non pas, dit-elle, que j’en fasse cas, ni que je croie à ces plaisanteries ; mais, si vous avez quelque amour pour moi, il