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la douleur que j’avais ressentie à la mort de mon père, tout d’abord j’avais fait silence. Un amour violent était venu ; tant que j’étais dans la solitude, l’ennui n’avait pas à lutter. Triste ou gai, comme vient le temps, qu’importe à celui qui est seul ?

Comme le zinc, ce demi-métal, tiré de la veine bleuâtre où il dort dans la calamine, fait jaillir de lui-même un rayon du soleil en approchant du cuivre vierge, ainsi les baisers de Brigitte réveillèrent peu à peu dans mon cœur ce que j’y portais enfoui. Dès que je me trouvai vis-à-vis d’elle, je m’aperçus de ce que j’étais.

Il y avait de certains jours où je me sentais, dès le matin, une disposition d’esprit si bizarre qu’il est impossible de la qualifier. Je me réveillais, sans motif, comme un homme qui a fait la veille un excès de table qui l’a épuisé. Toutes les sensations du dehors me causaient une fatigue insupportable, tous les objets connus et habituels me rebutaient et m’ennuyaient ; si je parlais, c’était pour tourner en ridicule ce que disaient les autres, ou ce que je pensais moi-même. Alors, étendu sur un canapé et comme incapable de mouvement, je faisais manquer de propos délibéré toutes les parties de promenade que nous avions concertées la veille ; j’imaginais de rechercher dans ma mémoire ce que, durant mes bons moments, j’avais pu dire de mieux senti et de plus sincèrement tendre à ma chère maîtresse, et je n’étais satisfait que lorsque mes plaisanteries ironiques avaient gâté et empoisonné ces souvenirs des jours heureux. « Ne pourriez-vous pas me laisser cela ? me demandait tristement Brigitte. S’il y a en vous deux hommes si différents, ne pourriez-vous, quand le mauvais se lève, vous contenter d’oublier le bon ? »