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CHAPITRE II

Une espèce d’inertie stagnante, colorée d’une joie amère, est ordinaire aux débauchés. C’est une suite d’une vie de caprice, où rien n’est réglé sur les besoins du corps, mais sur les fantaisies de l’esprit, et où l’un doit toujours être prêt à obéir à l’autre. La jeunesse et la volonté peuvent résister aux excès ; mais la nature se venge en silence, et le jour où elle décide qu’elle va réparer sa force, la volonté meurt pour l’attendre et en abuser de nouveau.

Retrouvant alors autour de lui tous les objets qui le tentaient la veille, l’homme, qui n’a plus la force de s’en saisir, ne peut rendre à ce qui l’entoure que le sourire du dégoût. Ajoutez que ces objets mêmes, qui excitaient hier son désir, ne sont jamais abordés de sang-froid ; tout ce qu’aime le débauché, il s’en empare avec violence ; sa vie est une fièvre ; ses organes, pour chercher la jouissance, sont obligés de se mettre au pair avec des liqueurs fermentées, des courtisanes et des nuits sans sommeil ; dans ses jours d’ennui et de paresse, il sent donc une bien plus grande distance qu’un autre homme entre son impuissance et ses tentations, et, pour résister à celles-ci, il faut que l’orgueil vienne à son secours et lui fasse croire qu’il les dédaigne. C’est ainsi qu’il crache sans cesse sur tous les festins de sa vie, et qu’entre une soif ardente et une profonde satiété, la vanité tranquille le conduit à la mort.

Quoique je ne fusse plus un débauché, il m’arriva tout à coup que mon corps se souvint de l’avoir été. Il est tout simple que jusque-là je ne m’en fusse pas aperçu. Devant