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précipice, et je n’ai vu, depuis un an, que ce qu’il y a de mal ici-bas. Dieu m’est témoin que jusqu’à ce jour je ne me croyais pas moi-même capable de ce rôle ignoble, le dernier de tous, celui d’un jaloux. Dieu m’est témoin que je vous aime et qu’il n’y a que vous en ce monde qui puissiez me guérir du passé. Je n’ai eu affaire jusqu’ici qu’à des femmes qui m’ont trompé ou qui étaient indignes d’amour. J’ai mené la vie d’un libertin ; j’ai dans le cœur des souvenirs qui ne s’en effaceront jamais. Est-ce ma faute si une calomnie, si l’accusation la plus vague, la plus insoutenable, rencontre aujourd’hui dans ce cœur des fibres encore souffrantes, prêtes à accueillir tout ce qui ressemble à de la douleur ? On m’a parlé ce soir d’un homme que je ne connais pas, dont je ne savais pas l’existence ; on m’a fait entendre qu’il y avait eu, sur vous et sur lui, des propos tenus qui ne prouvent rien ; je ne veux rien vous en demander ; j’en ai souffert, je vous l’ai avoué, et c’est un tort irréparable. Mais plutôt que d’accepter ce que vous me proposez, je vais tout jeter dans le feu. Ah ! mon amie, ne me dégradez pas ; n’en venez pas à vous justifier, ne me punissez pas de souffrir. Comment pourrais-je, au fond du cœur, vous soupçonner de me tromper ? Non, vous êtes belle et vous êtes sincère ; un seul de vos regards, Brigitte, m’en dit plus long que je n’en demande pour vous aimer. Si vous saviez quelles horreurs, quelles perfidies monstrueuses a vues l’enfant qui est devant vous ! Si vous saviez comme on l’a traité, comme on s’est raillé de tout ce qu’il y a de bon, comme on a pris soin de lui apprendre tout ce qui peut mener au doute, à la jalousie, au désespoir ! Hélas ! hélas ! ma chère maîtresse, si vous saviez qui vous aimez ! Ne me faites point