une de ses manches, et lui faisait, la bouche pleine de bonbons, dans son langage joyeux et incompréhensible, un de ces grands discours des marmots qui ne savent pas encore parler. Je m’assis auprès d’elle et baisai l’enfant sur ses grosses joues, comme pour rendre à mon cœur un peu d’innocence. Brigitte me fit un accueil craintif ; elle voyait dans mes regards son image déjà troublée. De mon côté j’évitais ses yeux ; plus j’admirais sa beauté et son air de candeur, plus je me disais qu’une pareille femme, si elle n’était pas un ange, était un monstre de perfidie. Je m’efforçais de me rappeler chaque parole de Mercanson, et je confrontais pour ainsi dire les insinuations de cet homme avec les traits de ma maîtresse et les contours charmants de son visage.
« Elle est bien belle, me disais-je, bien dangereuse si elle sait tromper ; mais je la rouerai et lui tiendrai tête, et elle saura qui je suis. »
« Ma chère, lui dis-je après un long silence, je viens de donner un conseil à un ami qui m’a consulté. C’est un jeune homme assez simple ; il m’écrit qu’il a découvert qu’une femme, qui vient de se donner à lui, a en même temps un autre amant. Il m’a demandé ce qu’il devait faire.
— Que lui avez-vous répondu ?
— Deux questions : Est-elle jolie, et l’aimez-vous ? Si vous l’aimez, oubliez-la ; si elle est jolie et que vous ne l’aimiez pas, gardez-la pour votre plaisir : il sera toujours temps de la quitter si vous n’avez affaire qu’à sa beauté, et autant vaut celle-là qu’une autre. »
En m’entendant parler ainsi, Brigitte lâcha l’enfant qu’elle tenait ; elle fut s’asseoir au fond de la chambre. Nous étions sans lumière ; la lune, qui éclairait la place que Brigitte venait de quitter, projetait une ombre profonde