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— Le prenez-vous encore au sérieux ? me répondit-elle en riant (voyant sans doute mon mal reparaître). Reprenez ce livre ; je veux que vous lisiez.

— N’en parlons plus. Que puis-je donc y trouver de si curieux ? Vos secrets sont à vous, ma chère. »

Le livre restait sur le meuble, et j’avais beau faire, je ne le quittais pas des yeux. J’entendis tout à coup comme une voix qui me chuchotait à l’oreille, et je crus voir grimacer devant moi, avec son sourire glacial, la figure sèche de Desgenais. « Que vient faire Desgenais ici ? » me demandai-je à moi-même, comme si je l’eusse vu réellement. Il m’avait apparu tel qu’il était un soir, le front incliné sous ma lampe, quand il me débitait de sa voix aiguë son catéchisme de libertin.

J’avais toujours les yeux sur le livre, et je sentais vaguement dans ma mémoire je ne sais quelles paroles oubliées, entendues autrefois, mais qui m’avaient serré le cœur. L’esprit du doute, suspendu sur ma tête, venait de me verser dans les veines une goutte de poison ; la vapeur m’en montait au cerveau, et je chancelais à demi dans un commencement d’ivresse malfaisante. Quel secret me cachait Brigitte ? Je savais bien que je n’avais qu’à me baisser et à ouvrir le livre ; mais à quel endroit ? Comment reconnaître la feuille sur laquelle le hasard m’avait fait tomber ?

Mon orgueil, d’ailleurs, ne voulait pas que je prisse le livre ; était-ce donc vraiment mon orgueil ? « Ô Dieu ! me dis-je avec une tristesse affreuse, est-ce que le passé est un spectre ? est-ce qu’il sort de son tombeau ? Ah ! misérable, est-ce que je vais ne pas pouvoir aimer ? »

Toutes mes idées de mépris pour les femmes, toutes ces phrases de fatuité moqueuse que j’avais répétées comme une leçon et comme un rôle pendant le temps de