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chaque mot, de chaque sentiment, cette estimation curieuse d’autrefois ; elle me traitait avec bonté, mais je me défiais de sa bonté même ; je me promenais avec elle au jardin ; mais je ne l’accompagnais plus hors de la maison ; nous ne traversions plus ensemble les bois et les vallées ; elle ouvrait le piano quand nous étions seuls ; le son de sa voix n’éveillait plus dans mon cœur ces élans de jeunesse, ces transports de joie qui sont comme des sanglots pleins d’espérance. Quand je sortais, elle me tendait toujours sa main, mais je la sentais inanimée ; il y avait beaucoup d’efforts dans notre aisance, beaucoup de réflexions dans nos moindres propos, beaucoup de tristesse au fond de tout cela. Nous sentions bien qu’il y avait un tiers entre nous ; c’était l’amour que j’avais pour elle. Rien ne le trahissait dans mes actions, mais il parut bientôt sur mon visage ; je perdais ma gaîté, ma force, et l’apparence de santé que j’avais sur les joues. Un mois ne s’était pas encore écoulé que je ne ressemblais plus à moi-même. Cependant, dans nos entretiens, j’insistais toujours sur mon dégoût du monde, sur l’aversion que j’éprouvais d’y rentrer jamais. Je prenais à tâche de faire sentir à madame Pierson qu’elle ne devait pas se reprocher de m’avoir reçu de nouveau chez elle. Tantôt je lui peignais ma vie passée sous les couleurs les plus sombres, et lui donnais à entendre que s’il fallait me séparer d’elle, je resterais livré à une solitude pire que la mort ; je lui disais que j’avais la société en horreur, et le récit fidèle de ma vie, que je lui avais fait, lui prouvait que j’étais sincère. Tantôt j’affectais une gaîté qui était bien loin de mon cœur, pour lui dire qu’en me permettant de la voir,