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semaines après, ma commission était faite et j’étais revenu. Je n’avais pensé qu’à elle pendant mon voyage, et je perdais toute espérance de l’oublier jamais. Cependant mon parti était pris de me taire devant elle ; le danger que j’avais couru de la perdre par l’imprudence que j’avais commise, m’avait fait souffrir trop cruellement pour que j’eusse l’idée de m’y exposer de nouveau. L’estime que j’avais pour elle ne me permettait pas de croire qu’elle ne fût pas de bonne foi, et je ne voyais, dans la démarche qu’elle avait faite de quitter le pays, rien qui ressemblât à de l’hypocrisie. En un mot, j’avais la ferme persuasion qu’à la première parole d’amour que je lui dirais, sa porte me serait fermée. Je la retrouvai maigrie et changée. Son sourire habituel paraissait languissant sur ses lèvres décolorées. Elle me dit qu’elle avait été souffrante. Il ne fut point question de ce qui s’était passé. Elle avait l’air de ne pas vouloir s’en souvenir, et je ne voulais pas en parler. Nous reprîmes bientôt nos premières habitudes de voisinage ; cependant il y avait entre nous une certaine gêne, et comme une familiarité composée. Il semblait que nous nous disions parfois : « Il en était ainsi auparavant, qu’il en soit donc encore de même. » Elle m’accordait sa confiance comme une réhabilitation, qui n’était pas sans charmes pour moi. Mais nos entretiens étaient plus froids, par cette raison même que nos regards avaient, pendant que nous parlions, une conversation tacite. Dans tout ce que nous pouvions dire, il n’y avait plus à deviner. Nous ne cherchions plus, comme auparavant, à pénétrer dans l’esprit l’un de l’autre ; il n’y avait plus cet intérêt de