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deuil ; mais je restais derrière elle, et, la voyant si bien disposée, j’avais éprouvé plus d’une fois la tentation de lui avouer que je l’aimais. Mais je ne sais pourquoi, dès que j’y pensais, je me sentais une peur invincible ; cette seule idée d’un aveu me rendait tout à coup sérieux au milieu des entretiens les plus gais. J’avais pensé quelquefois à lui écrire, mais je brûlais mes lettres dès qu’elles étaient à moitié. Ce soir-là, j’avais dîné chez elle ; je regardais toute cette tranquillité de son intérieur ; je pensais à la vie calme que je menais, à mon bonheur depuis que je la connaissais, et je me disais : « Pourquoi davantage ? Cela ne te suffit pas ? Qui sait ? Dieu n’en a peut-être pas fait plus pour toi. Si je lui disais que je l’aime, qu’en arriverait-il ? elle me défendrait peut-être de la voir. La rendrais-je, en le lui disant, plus heureuse qu’elle ne l’est aujourd’hui ? en serais-je plus heureux moi-même ? » J’étais appuyé sur le piano, et, comme je faisais ces réflexions, la tristesse s’emparait de moi. Le jour baissait, elle alluma une bougie ; en revenant s’asseoir, elle vit qu’une larme s’était échappée de mes yeux. « Qu’avez-vous ? » dit-elle. Je me détournai. Je cherchais une excuse et n’en trouvais point ; je craignais de rencontrer ses regards. Je me levai, et fus à la croisée. L’air était doux ; la lune se levait derrière l’allée des tilleuls, celle où je l’avais vue pour la première fois. Je tombai dans une rêverie profonde ; j’oubliai sa présence même, et, étendant les bras vers le ciel, un sanglot sortit de mon cœur. Elle s’était levée, et elle était derrière moi. « Qu’est-ce donc ? » demanda-t-elle encore. Je lui répondis que la mort de mon père s’était représentée à ma pensée à la