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dire presque gaîment. À mesure que je l’écoutais, je crus comprendre pourquoi, et que non seulement elle parlait ainsi de la mort, mais de la vie, de la souffrance et de tout au monde. C’était que les douleurs humaines ne lui enseignaient rien qui pût accuser Dieu, et je sentis la piété de son sourire. Je lui contai la vie solitaire que je menais. Sa tante, me dit-elle, voyait mon père plus souvent qu’elle-même ; ils jouaient ensemble aux cartes l’après-dînée. Elle m’engagea à aller chez elle, où je serais le bienvenu. Vers le milieu de la route elle se sentit fatiguée, et s’assit quelques moments sur un banc que des arbres épais avaient protégé contre la pluie. Je restai debout devant elle, et je regardais sur son front les pâles rayons de la lune. Après un instant de silence, elle se leva, et me voyant distrait : « À quoi songez-vous ? me dit-elle ; il est temps de nous remettre en marche. — Je songeais, répondis-je, pourquoi Dieu vous a créée, et je me disais qu’en effet c’était pour guérir ceux qui souffrent. — Voilà une parole, dit-elle, qui ne peut guère être dans votre bouche autre chose qu’un compliment. — Pourquoi ? — Parce que vous me paraissez bien jeune. — Il arrive quelquefois, lui dis-je, qu’on soit plus vieux que son visage. — Oui, répondit-elle en riant, et il arrive aussi qu’on soit plus jeune que ses paroles. — Ne croyez-vous pas à l’expérience ? — Je sais que c’est le nom que la plupart des hommes donnent à leurs folies et à leurs chagrins ; qu’en peut-on savoir à votre âge ? — Madame, un homme de vingt ans peut avoir plus vécu