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Larive n’avait pas plus d’envie de me consoler que de se consoler lui-même. Au moment de la mort de mon père, il avait eu peur que je ne vendisse la maison et que je ne l’emmenasse à Paris. Je ne sais s’il était au fait de ma vie passée, mais il m’avait témoigné d’abord de l’inquiétude, et quand il me vit m’installer, son premier regard m’alla jusqu’au cœur. C’était un jour que j’avais fait apporter de Paris un grand portrait de mon père ; je l’avais fait mettre dans la salle à manger. Lorsque Larive entra pour servir, il le vit ; il demeura irrésolu, regardant tantôt le portrait, tantôt moi ; il y avait dans ses yeux une si triste joie que je ne pus y résister. Il semblait me dire : « Quel bonheur ! nous allons donc souffrir tranquilles. » Je lui tendis la main, qu’il couvrit de baisers en sanglotant. Il soignait, pour ainsi dire, ma douleur, comme la maîtresse de la sienne. Quand j’allais le matin au tombeau de mon père, je l’y trouvais arrosant les fleurs ; dès qu’il me voyait, il s’éloignait et rentrait au logis. Il me suivait dans mes promenades ; comme j’étais à cheval, et lui à pied, je ne voulais jamais de lui ; mais quoi que je fisse pour cela, dès que j’avais fait cent pas dans la vallée, je l’apercevais derrière moi, son bâton à la main et s’essuyant le front. Je lui achetai un petit cheval qui appartenait à un paysan des environs, et nous nous mîmes ainsi à parcourir les bois. Il y avait dans le village quelques personnes de connaissance qui venaient souvent à la maison. Ma porte leur était fermée, quoique j’en eusse du regret ; mais je ne pouvais voir personne sans impatience. Renfermé dans ma solitude, je pensai au bout de quelque temps à visiter les papiers de mon père ; Larive me les apporta avec un pieux respect, et, détachant les liasses d’une main