Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/133

Cette page n’a pas encore été corrigée

s’élevait alors des rayons poudreux comme pour dire : « Où est allé le père ? Nous voyons bien que c’est l’orphelin. » Je reçus de Paris plusieurs lettres, et je fis à toutes la réponse que je voulais passer l’été seul à la campagne, comme mon père avait coutume de faire. Je commençais à sentir cette vérité, que dans tous les maux il y a toujours quelque bien, et qu’une grande douleur, quoi qu’on en dise, est un grand repos. Quelle que soit la nouvelle qu’ils apportent, lorsque les envoyés de Dieu nous frappent sur l’épaule, ils font toujours cette bonne œuvre de nous réveiller de la vie, et là où ils parlent tout se tait. Les douleurs passagères blasphèment et accusent le ciel ; les grandes douleurs n’accusent ni ne blasphèment ; elles écoutent. Le matin je passais des heures entières en contemplation devant la nature. Mes croisées donnaient sur une vallée profonde et au milieu s’élevait le clocher du village ; tout était pauvre et tranquille. L’aspect du printemps, des fleurs et des feuilles naissantes ne produisait pas sur moi cet effet sinistre dont parlent les poètes, qui trouvent dans les contrastes de la vie une raillerie de la mort. Je crois que cette idée frivole, si elle n’est pas une simple antithèse faite à plaisir, n’appartient encore en réalité qu’aux cœurs qui sentent à demi. Le joueur qui sort au point du jour, les yeux ardents et les mains vides, peut se sentir en guerre avec la nature, comme le flambeau d’une veillée hideuse ; mais que peuvent dire les feuilles qui poussent à l’enfant qui pleure son père ? Les larmes de ses yeux sont sœurs de la rosée ; les feuilles des saules sont elles-mêmes des larmes. C’est en regardant le ciel, les bois et les prairies que je compris ce que c’est que les hommes qui s’imaginent de se consoler.