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Je frissonnai malgré moi ; je regardais l’alcôve, puis le jardin ; ma tête épuisée s’alourdissait. Je fis quelques pas et allai m’asseoir devant un secrétaire ouvert, près d’une autre croisée. Je m’y étais appuyé, et regardais machinalement une lettre dépliée qui avait été laissée dessus ; elle ne contenait que quelques mots. Je les lus plusieurs fois de suite sans y prendre garde, jusqu’à ce que le sens en devînt intelligible à ma pensée à force d’y revenir ; j’en fus frappé tout à coup, quoiqu’il ne me fût pas possible de tout saisir. Je pris le papier et lus ce qui suit, écrit avec une mauvaise orthographe :

« Elle est morte hier. À onze heures du soir, elle se sentait défaillir ; elle m’a appelée et elle m’a dit : Louison, je vas rejoindre mon camarade ; tu vas aller à l’armoire, et tu vas décrocher le drap qui est au clou ; c’est le pareil de l’autre. Je me suis jetée à genoux en pleurant ; mais elle étendait la main, en criant : Ne pleure pas ! ne pleure pas ! Et elle a poussé un tel soupir… »

Le reste était déchiré. Je ne puis rendre l’effet que cette lecture sinistre produisit sur moi ; je retournai le papier et vis l’adresse de Marco, la date de la veille. « Elle est morte ? et qui donc morte ? m’écriai-je involontairement en allant à l’alcôve. Morte ! qui donc ? qui donc ? »

Marco ouvrit les yeux ; elle me vit, assis sur son lit, la lettre à la main. « C’est ma mère, dit-elle, qui est morte. Vous ne venez donc pas près de moi ? »

En disant cela, elle étendit la main. « Silence ! lui dis-je ; dors, et laisse-moi là. » Elle se retourna et se rendormit. Je la regardai quelque temps, jusqu’à ce que, m’étant assuré qu’elle ne pouvait plus m’entendre, je m’éloignai et sortis doucement.


CHAPITRE V