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dans l’entresol mystérieux. C’était une pièce basse ; mais parfaitement habitable. Nous en revînmes couverts de toiles d’araignées ; et, en découvrant sur les belles tapisseries qui décoraient notre chambre, le sujet de Don Quichotte prenant le plat d’étain du barbier pour l’armet de Mambrin, nous ne pûmes nous empêcher de rire de notre expédition.

Cependant, tout, au château de Cogners, jusqu’aux mœurs hospitalières et patriarcales des habitants, nous reportait aux siècles passés. On dînait à deux heures et on soupait à huit. Le voyageur, curé, médecin ou gendarme, qui traversait le pays, trouvait son couvert mis à table et une place à l’écurie pour son cheval. À l’entrée de la nuit, on se réunissait dans l’immense salon du rez-de-chaussée, dont un chandelier à deux branches, posé au centre sur un large guéridon, n’éclairait que d’un demi-jour les extrémités et les angles. Celui de nous qui passait près de la table projetait au loin sur les murailles une ombre de géant. Pour attendre le souper, le châtelain nous faisait à haute voix la lecture du journal. Il déclamait certains passages avec une solennité comique, et ne manquait jamais d’ôter sa casquette lorsqu’il rencontrait les noms et titres de Monseigneur le Dauphin ou de S. A. R. Madame. Ce n’était pas de l’irrévérence pour les personnages nommés, mais une manière de témoigner son dédain pour la puissance nouvelle des gazettes, dont il n’avait pas encore com-