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une nourriture meilleure. Avec un peu de souplesse et de complaisance, peut-être aurait-on réussi à substituer les héros de Plutarque à ceux de la Bibliothèque bleue. Notre enthousiasme se serait porté sur Thémistocle ou sur Paul-Émile, et dans nos jugements nous aurions flétri la mauvaise foi de Lisandre aussi sévèrement que la perfidie de Ganelon. Mais il faudrait se donner beaucoup de peine pour étudier le caractère, les goûts et les instincts des enfants. Je comprends qu’on trouve plus commode de les mener tous de la même façon.

L’année 1819 fut marquée dans nos souvenirs par l’épisode important d’un voyage en Bretagne. Après un séjour d’un mois dans la petite ville de Fougères, dont notre oncle Desherbiers était alors sous-préfet, nous allâmes à Rennes, chez un ami de notre père. Le régiment d’artillerie en garnison dans cette ville donna aux habitants le spectacle d’un polygone de nuit. Le lendemain de la fête, il y avait chez notre hôte une soirée à laquelle assistaient plusieurs officiers d’artillerie. Le fils du colonel, qui avait la prétention de savoir dessiner, représentait sur une feuille de papier des mortiers et des canons. Pour figurer la courbe que décrit une bombe, il traçait naïvement des demi-cercles réguliers.

« Vous vous trompez, lui dit Alfred ; la bombe est lancée en ligne droite et change peu à peu de direction en perdant sa force jusqu’à ce que son poids la