Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ché devait se laisser choir. Cet avantage rétablissait l’égalité entre les combattants. Cependant notre passion pour la chevalerie mettait à une rude épreuve la patience du précepteur. Trop souvent, au lieu de l’écouter, nous allions chevauchant dans la forêt des Ardennes. Le maître avait raison de se fâcher ; mais nous étions incorrigibles. Pour échapper aux punitions, nous inventâmes une ruse diabolique. Sur chaque page du dictionnaire latin de Noël fut inscrit le nom d’un chevalier. Celui qui cherchait un mot dans ce dictionnaire avait pour lui le personnage dont le nom se trouvait à la page qui contenait le mot latin. Le chevalier le plus vaillant faisait gagner l’un des deux chercheurs ; le moins estimé faisait perdre l’autre, en sorte que sous le prétexte des versions latines, le jeu se poursuivait à la barbe du maître. Un matin que le bon monsieur Bouvrain chercha lui-même dans le dictionnaire, il tomba par hasard sur le nom du traître Ganelon, et ses deux élèves furent pris d’un rire aussi fou que celui de Nicole dans le Bourgeois gentilhomme.

Je n’insisterais pas sur ces bagatelles si je ne croyais y voir des sujets d’observation pour les gens qui se vouent à la carrière ingrate de l’enseignement. Au lieu de faire la guerre à notre engouement pour les héros fabuleux de la chevalerie, n’aurait-on pu tourner ces manies d’écoliers au profit de notre éducation ? Il ne s’agissait que d’offrir à nos imaginations affamées