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comme gêné par l’embonpoint. Je vois encore son visage gras et pâle, son front olympien, ses yeux enchâssés comme ceux d’une statue grecque, son regard profond fixé sur la foule. Qu’il ressemblait peu aux hommes qui l’entouraient ! Quelle différence dans ses traits et sa physionomie avec tous ces types vulgaires ! C’était bien César au milieu des instruments aveugles de sa volonté. Alfred de Musset n’avait guère plus de quatre ans alors ; mais cette figure poétique le frappa si vivement qu’il ne l’oublia jamais ; nous la dévorâmes du regard pendant un quart d’heure qu’elle posa devant nous ; et puis elle disparut pour toujours, laissant dans nos imaginations d’enfants une empreinte ineffaçable et dans nos âmes un amour approchant du fanatisme.

Un jour du mois d’avril, sous les arbres d’un boulevard, nous regardions défiler une bande de conscrits et d’engagés volontaires. Sans doute ils arrivaient de loin et à marches forcées. Ils étaient épuisés, haletants, déguenillés ; ce spectacle était navrant. Nous décidâmes que Sylvain Rondeau devait partir pour l’armée ; mais notre appel le trouva sourd, et il se moqua bien de nos reproches. Les six semaines qui s’écoulèrent après le passage des troupes nous parurent un temps si long que, par fatigue, nous commencions à nous occuper d’autre chose que de la guerre. Un matin, notre mère sortit de sa chambre, le visage inondé de larmes, poussant des cris déchirants. Nous