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des pensées muettes, s’ils cherchent l’éternelle vérité jusque dans la contemplation d’un brin d’herbe, ils ont aussi leurs heures pour méditer sur les actions des hommes et les besoins des peuples. Quand ils expriment ce qu’ils sentent, ils nous apprennent ce que nous sommes capables de sentir sans pouvoir l’exprimer ; quand ils se donnent la peine de regarder, ils voient des choses que nos yeux ne distinguent pas.

Le jour où Alfred de Musset apprit la nouvelle de l’envoi d’un corps d’armée piémontais en Crimée, il tira de ce fait une foule d’inductions qui le menèrent en peu d’instants jusqu’à prévoir un changement radical dans les destinées de l’Italie. Je lui représentai que sa pensée allait un peu vite, et que l’Autriche ne se prêterait jamais à un remaniement de la carte d’Europe où elle perdrait ses plus riches provinces. « Ce qui est juste, me répondit-il, n’est pas aussi difficile qu’on le pense. On n’empêche point de pousser les rameaux de l’arbre de la vie, et il y a au delà des monts un peuple qui demande à vivre. Les égoïstes croient le monde fait pour eux, et sourient des souffrances d’une grande nation ; mais c’est de leur politique qu’il faut sourire. L’intelligence tient par la main la liberté. Peut-être elle n’est pas loin cette liberté si longtemps attendue, car elle marche par des chemins qu’on ne connaît pas. Du haut du dôme de Milan et du campanile de Saint-Marc, on la verra quelque jour paraître à l’horizon. »