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cent mille écus. Le marché est conclu, il n’y a plus à s’en dédire. »

Cependant, malgré sa résistance, Alfred lui prend doucement la main et lui remet la bague au doigt. Alors Rachel la retire de nouveau, et la présente dans une attitude dramatique et suppliante : « Cher poète, dit-elle d’une voix réellement émue, vous n’auriez pas le courage de refuser ce petit présent, si je vous l’offrais le lendemain du jour où je dois jouer ce fameux rôle que vous devez écrire pour moi et que j’attendrai peut-être toute ma vie. Gardez donc cette bague, je vous en prie, comme un gage de vos promesses. Si jamais, par ma faute ou autrement, vous renoncez pour tout de bon à écrire ce rôle tant désiré, rapportez-moi la bague, et je la reprendrai. »

En parlant ainsi, elle plie le genou et déploie cette grâce enchanteresse que la nature lui a donnée, comme un auxiliaire de son génie. Il fallut bien accepter la bague aux conditions où elle était offerte. Le poète rentra chez lui fort ému de l’aventure, plein de bonne volonté, et résolu, cette fois, à profiter de l’occasion. Malheureusement, Rachel partit pour l’Angleterre peu de jours après la scène que je viens de raconter. Elle avait bien promis de lui écrire, mais elle ne tint pas sa parole, et Alfred, connaissant par expérience l’humeur changeante de la grande tragédienne, augura mal de son silence. Lorsqu’il la revit à l’automne, elle ne lui parla de rien. C’était le moment où Rose