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dait pas. Le nouveau ministre de l’intérieur avait, disait-on, une sorte de conseil intime et nocturne, où s’élaboraient des Bulletins de la République que la population de Paris lisait avec étonnement, souvent même avec effroi. En voyant parmi les noms de ces conseillers privés celui d’une personne qui ne pouvait décemment lui vouloir que du bien, il pensa que sa place de bibliothécaire lui serait conservée. Il se trompait : une des premières mesures de M. Ledru-Rollin fut la destitution d’Alfred de Musset. Un journal en cria ; un autre nia le fait. Alfred envoya aux journaux la lettre qui lui donnait avis de son renvoi. Cette lettre, d’un laconisme brutal, était signée par un secrétaire général nommé Carteret. J’écrivais alors des articles de littérature dans le National, qui se trouvait tout à coup jouir d’un crédit auquel ses vingt ans d’opposition ne l’avaient pas accoutumé. Je fis parler au ministre de l’intérieur par un de mes amis du National ; mais ce fut inutilement.

Bien qu’il n’eût pas beaucoup à se louer de cette révolution qui lui enlevait le plus sûr de son revenu, Alfred ne pouvait se défendre d’admirer, dans une de ses manifestations les plus soudaines et les plus énergiques, cette nation française, si pleine de vie, de ressort et d’imprévu, dont M. de Tocqueville a dit qu’elle peut inspirer de grandes sympathies ou de grandes haines, mais jamais l’indiffé-